Photographie grand-angle en mise au point rapprochée

L’auteur a photographié ces poissons-cardinaux de Banggai à Lembeh, en Indonésie, à l’aide d’un objectif macro Nikon 105 mm combiné à la lentille de conversion EMWL unique de Nauticam, qui offre un angle de champ de 130 degrés tout en conservant une capacité de mise au point rapprochée.

La plupart de nos expériences en photographie numérique se situent quelque part entre deux extrêmes. En photographie sous-marine, on fait souvent une distinction rigide entre macro et grand-angle, comme s’il fallait forcément choisir entre les deux, alors qu’en réalité, c’est un continuum. Combien de fois avons-nous participé à une plongée où le guide recommandait un objectif macro ou grand-angle pour l’exploration suivante ? 

Mais si l’on ne prend pas cette recommandation comme une obligation de choisir l’un ou l’autre, on peut envisager une approche qui transcende ces deux styles. Il devient alors possible de se placer librement sur le spectre. En mettant en valeur des sujets principaux très variés — du plus petit au plus imposant — dans un décor en grand-angle, on peut restituer une véritable sensation de profondeur et de dramaturgie, fusionnant le meilleur des deux mondes dans une seule image. Cette technique s’appelle la photographie grand-angle en mise au point rapprochée (close-focus wide-angle, ou CFWA).

a Seychelles anemonefish
L’auteur a pris cette photo d’un poisson-clown des Seychelles avec un objectif fisheye circulaire Nikon 8-15 mm, réglé à 8 mm.

Le légendaire Howard Hall a commencé à pratiquer la photographie grand-angle rapprochée dans les années 1970, à l’époque de la pellicule 35 mm. Ses sujets principaux — qu’ils soient grands ou petits — étaient si proches de l’objectif que leur rendu surdimensionné, intégré dans une composition en grand-angle, produisait une image unique et saisissante. Dans son livre Howard Hall’s Guide to Successful Underwater Photography, publié en 1982, il expliquait comment il utilisait le célèbre objectif Nikonos 15 mm pour obtenir ce qu’il a appelé la photographie grand-angle en mise au point rapprochée (close-focus wide-angle photography) . Hall attribue au regretté Jerry Greenberg le mérite d’avoir été le pionnier de cette technique alors encore sans nom, et d’avoir su créer des images véritablement spectaculaires.

Hall racontait que lui et Marty Snyderman avaient étudié le travail artistique de Greenberg en analysant ses clichés du début des années 1970. Ils avaient essayé de les « déchiffrer à rebours » mais étaient « totalement déconcertés » quant à la façon dont Greenberg avait pu obtenir de tels résultats. Ils avaient même conclu à l’époque qu’il s’agissait « d’une combinaison artificielle de deux images superposées puis rephotographiées avec un duplicateur de diapositives ». Plus tard, lorsqu’ils ont pu enfin s’offrir l’objectif grand-angle Nikonos 15 mm pour la photographie sous-marine, ils ont compris que celui-ci permettait une mise au point nette à la fois sur un sujet situé presque contre la lentille frontale et sur des plongeurs éloignés en arrière-plan.

Bien que la capture d’images en grand-angle rapproché soit relativement simple, les termes grand-angle  et mise au point rapprochée  impliquent qu’on peut créer des images spectaculaires en combinant intelligemment ces deux techniques. Cela suppose aussi qu’il faut prendre en compte certaines considérations spécifiques, au-delà de celles liées à la photographie grand-angle classique.

La première de ces considérations est la compréhension et la gestion de la distorsion de perspective produite par les objectifs grand-angle. Celle-ci se manifeste sous deux formes : la distorsion en barillet (les lignes droites deviennent courbes en périphérie de l’image) et la distorsion de profondeur (les tailles et distances sont exagérées dans le plan perpendiculaire à l’objectif). Plus la focale d’un objectif est courte, plus ces distorsions seront prononcées. Les objectifs fisheye génèrent les distorsions en barillet et de profondeur les plus marquées. À l’inverse, les objectifs grand-angle rectilinéaires corrigent la distorsion en barillet (les lignes restent droites), mais produisent une distorsion de profondeur moins importante qu’un fisheye.

En général, nous avons tendance à ignorer la distorsion en barillet dans nos images, car il y a peu de lignes droites sous l’eau, et nous cadrons nos sujets principaux en grand-angle rapproché près de l’axe central de l’objectif. En CFWA, ce que nous cherchons à exploiter pleinement, c’est la distorsion de profondeur, qui peut accentuer la sensation de relief et d’échelle dans l’image.

L’exploitation de l’échelle dépend du sujet. Lorsque l’on photographie de très petits sujets à proximité de l’objectif, la distorsion de profondeur les fera paraître plus grands, mais leur taille réelle étant très réduite, cette distorsion ne sera pas visuellement exagérée dans la profondeur. 

A giant tridacna clam (Tridacna gigas)
Ce bénitier géant (Tridacna gigas) constitue un premier plan spectaculaire pour ce portrait de plongeur. Sa taille imposante est accentuée grâce à la technique CFWA.

On peut obtenir des images saisissantes de sujets linéaires de taille moyenne, comme un barracuda aux dents proéminentes, ou même de très grands sujets, comme un requin-baleine, en les photographiant de face, à un angle de 45 degrés. La distorsion de profondeur agrandira de manière spectaculaire la tête du sujet tout en allongeant exagérément le corps qui s’éloigne vers l’arrière. À un certain point, la distorsion en barillet peut devenir visible sur les très grands sujets si l’animal occupe tout le champ de l’image. Pour atténuer cet effet, il est conseillé de conserver l’axe du corps de l’animal à 45 degrés par rapport à l’objectif.   

Si la distorsion de profondeur est idéale pour agrandir les petits sujets ou accentuer la dynamique des sujets linéaires, elle nécessite d’autres précautions avec des sujets non linéaires — comme les modèles sous-marins. Un plongeur peut apparaître anatomiquement étrange si différentes parties de son corps se trouvent à des distances très variables, perpendiculaires et proches de l’objectif. Pour éviter ces déformations, il est préférable de garder les parties du corps les plus visibles, comme la tête et les mains, dans un même plan parallèle à l’objectif. 

Une fois qu’un photographe comprend comment tirer parti des distorsions d’un objectif grand-angle en CFWA, il peut les utiliser de manière créative pour donner de l’impact à ses sujets. 

a manatee and snorkelers at Crystal River, Florida
Le photographe a capturé cette image d’un lamantin et de snorkelers à Crystal River, en Floride, avec un objectif Nikon 8-15 mm réglé sur 15 mm.
A pair of whale sharks
Deux requins-baleines se rassemblent sous une plateforme de pêche (bagan) à Bornéo, attirés par une source de nourriture constante. L’effet de perspective met en évidence la différence d’échelle entre les individus en avant-plan et ceux en arrière-plan.

La capture d’images en grand-angle rapproché implique généralement l’utilisation de flashs pour éclairer le sujet principal, tandis que la lumière ambiante joue un rôle essentiel pour illuminer le reste de la scène. Obtenir un bon équilibre entre les deux sources de lumière tout en exploitant les avantages de la distorsion de perspective demande réflexion et pratique. 

Lorsque je photographie en CFWA, mes réglages d’ouverture, de vitesse, d’ISO et de puissance des flashs évoluent en permanence. Je les ajuste selon la taille et la distance du sujet, l’angle du soleil (Est-ce que je photographie à contre-jour ? Est-ce que le soleil est derrière moi ?), la profondeur de champ souhaitée et la luminosité de l’arrière-plan.

Trouver le bon équilibre entre l’éclairage du sujet et celui de la scène commence par le positionnement des flashs. Comme les sujets sont souvent très proches de l’objectif, placer les flashs sur des bras étendus — comme on le ferait en grand-angle classique — risque de projeter des ombres sur le sujet. Cette configuration ne permet pas au cône lumineux d’atteindre la partie du sujet la plus proche de l’objectif. De plus, des contraintes physiques — comme les poignées du caisson, certains accessoires ou des bras de flottaison volumineux — compliquent le positionnement optimal des flashs pour éclairer correctement des sujets très proches. 

Personnellement, je n’ajoute aucun accessoire à mon caisson, et je replie mes flashs en les rapprochant le plus possible du caisson, avec un léger angle vers l’extérieur. C’est ma position de départ idéale pour le CFWA. J’ajuste ensuite l’angle vers l’intérieur ou avance les flashs selon le besoin. Si je les rapproche trop et que des ombres apparaissent sur l’image, je diminue la puissance d’un stop sur chaque flash. Pour les sujets plus grands — comme les barracudas ou les requins-baleines —, il n’est pas nécessaire d’être aussi proche de la lentille, ce qui permet d’utiliser un positionnement plus classique des flashs.  

Les réglages de puissance de mes flashs varient en fonction de la proximité et de la couleur du sujet. Les sujets clairs — comme une seiche pâle — nécessitent moins de puissance qu’un sujet plus sombre — comme une antennaire noire — à la même distance. Les sujets très réfléchissants, comme un barracuda aux dents brillantes, demandent encore moins de puissance. 

Si votre sujet est surexposé même avec la puissance minimale du flash, essayez d’éloigner vos flashs du sujet. Quelques centimètres d’eau supplémentaires entre le flash et le sujet peuvent atténuer l’intensité du faisceau. Augmenter la vitesse d’obturation, baisser l’ISO ou fermer le diaphragme peut aussi réduire la surexposition, mais cela se fait souvent au détriment de l’éclairage de l’arrière-plan ambiant. Vérifiez vos réglages entre les prises grâce à l’histogramme et à l’écran de contrôle de votre appareil pour vous assurer d’obtenir le rendu lumineux souhaité. 

J’utilise depuis peu des snoots sur mes flashs, en particulier pour photographier de petits sujets avec la technique du grand-angle rapproché. Le snoot, qui restreint le faisceau large du flash à un cône lumineux plus étroit et directionnel, m’offre plus de liberté pour positionner les flashs autour du caisson. Cela permet de réduire les ombres ainsi que le backscatter (les reflets de particules en suspension). 

Avec les snoots, j’ai commencé à expérimenter des arrières-plans peu éclairés, ce qui a pour effet de faire ressortir le sujet principal. Pour obtenir ce rendu, je règle mon boîtier avec une valeur ISO basse, une grande ouverture (f-stop élevé) et une vitesse d’obturation rapide (sous lumière vive) afin d’assombrir l’arrière-plan. 

Mais parfois, les conditions sous-marines offrent d’elles-mêmes un environnement sombre. Lors d’un récent séjour à Lembeh, en Indonésie, une météo défavorable m’a contraint à utiliser des vitesses d’obturation très lentes pour obtenir un minimum d’éclairage ambiant en arrière-plan. Je ne voulais ni réduire mon ouverture — indispensable pour conserver une bonne profondeur de champ — ni augmenter l’ISO, ce qui aurait pu introduire un bruit d’image excessif. 

J’ai récemment expérimenté des vitesses d’obturation très lentes pour capturer mes images. Théoriquement, une fraction égale à l’inverse de la focale de l’objectif correspond à la vitesse d’obturation la plus lente qu’un photographe peut gérer à main levée, sur terre, pour obtenir une image nette en appliquant une bonne technique. Avec un objectif fisheye de 15 mm, il est possible de prendre une image nette à 1/15 seconde.  

Même si les objectifs grand-angle offrent naturellement une grande zone de netteté à petite ouverture, ils perdent en netteté à l’extrémité opposée de la plage de mise au point lorsqu’ils sont utilisés à leur distance de mise au point minimale. Ce phénomène peut jouer en faveur du photographe en CFWA, car le bokeh — ce flou d’arrière-plan au-delà de la zone de netteté — peut aider à mieux faire ressortir le sujet principal. N’hésitez pas à ouvrir votre diaphragme grand-angle pour expérimenter des effets de bokeh agréables qui peuvent valoriser votre sujet. 

Se lancer dans la photographie grand-angle rapprochée ouvre de nouvelles possibilités aux photographes et leur permet de dépasser la proposition binaire souvent faite par les divemasters.

Red sea whips (Leptogorgia virgulata)
Les gorgones rouges (Leptogorgia virgulata) offrent un avant-plan vibrant éclairé au flash dans cette image prise aux Eastern Fields, en Papouasie-Nouvelle-Guinée.

Équipement pour la photographie grand-angle rapprochée (CFWA)

Les objectifs fisheye circulaires ont généralement une focale d’environ 8 mm pour les systèmes au format 35 mm, ce qui produit une image circulaire. Ils permettent de capturer la scène sur un angle allant jusqu’à 360 degrés, avec une forte distorsion en barillet et une perspective de profondeur très marquée.

Les objectifs fisheye classique ont des focales comprises entre 13 mm et 16 mm pour les systèmes 35 mm, et sont les plus couramment utilisés pour la prise de vues CFWA. Ils couvrent un angle de champ entre 170 et 180 degrés, avec une distorsion de perspective modérée.

Les objectifs grand-angle rectilinéaires ont généralement des focales entre 14 mm et 35 mm pour le format 35 mm. Ils couvrent un angle de champ allant de 110 à 68 degrés, tout en corrigeant la distorsion en barillet et en produisant une distorsion de profondeur modérée. Ils ne sont pas idéaux pour la CFWA, mais l’ajout d’un dioptrie sur la lentille frontale permet une mise au point plus rapprochée.

Des lentilles humides (wet lenses) sont disponibles pour les appareils compacts, permettant de convertir l’objectif fixe de l’appareil (dans son caisson étanche) pour le rendre compatible avec la prise de vue en CFWA. 

Parmi les autres optiques spécialisées permettant une prise de vue CFWA efficace figurent les ports de conversion grand-angle, la lentille macro grand-angle étendue (EMWL), qui transforme un objectif de 100 mm ou 105 mm pour une utilisation combinée en macro et en grand-angle, ainsi que l’objectif fisheye Nikonos RS 13 mm, modifié pour être utilisé avec des boîtiers étanches. 


© Alert Diver – Q1 2025

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